Dans le rétroviseur d'Alpha Blondy
Nadjib SELLALI: Tu as dédié une chanson à Houphouet Boigny que retiens-tu de son action de leader du mouvement d’indépendance ?
Alpha Blondy:
Le discours sur l’abolition du travail forcé, proclamé par Houphouet
Boigny, était un discours qui réclamait la fin de l’esclavage, car les
travaux forcés qui sévissaient en Afrique de l’Ouest en étaient
fortement inspirés. Est-ce que les français savent que, jusqu’en 1946,
la France appliquait encore de telle pratique dans ses colonies ? Malgré
le fait que des africains aient donné leur sang pour la France, lors de
la seconde guerre mondiale, les regards et l’estime vis-à-vis de
l’homme noir n’avaient pas beaucoup changé en occident. Pour moi,
Houphouet Boigny était un grand, « il a fait l’âne pour avoir le foin »
avec les français, ce qui a permis à des femmes et des hommes, comme
moi, d’émerger, de faire des études et de pouvoir s’exprimer librement
aujourd’hui. J’évoque cet homme dans certaines de mes chansons car nous
sommes fatigués de ne jamais entendre parler de nos référents
historiques, il est donc essentiel que nous révélions à la lumière de
nos propres héros.
Nadjib
SELLALI : Pourquoi réclames-tu qu’on enseigne l’Histoire des
indépendances et de ses héros africains de la décolonisation ?
Alpha Blondy: L’école
de mon époque a servi à nous a faire un lavage de cerveau digne de ce
nom, car qui parle de nos héros ? Qui met en avant tous nos leaders de
l’indépendance, tous les grands hommes politiques qu’a connu l’Afrique ?
Qui parle des fondateurs de l’OUA (Organisation de l’Unité Africaine),
de Patrice Lumumba, de Modibo Keita, de N’Krumah etc...Toutes ces hautes
figures du panafricanisme ? Tous ces hommes ont été humiliés, on nous a
caché nos symboles car les colons ne voulaient pas que les nègres aient
des références. L’histoire africaine a été falsifiée par l’empire blanc
qui s’est gardé tous les beaux rôles jusqu’à aujourd’hui. Heureusement
que des historiens africains comme Amadou Hampaté Ba, Cheick Anta Diop
se sont engagés dans ce rétablissement de vérité qui contribuera à
l’essor du peuple africain, mais la route est longue pour que de tels
travaux soient développés et enseignés… Je fais parti de ceux qui
pensent que ces commémorations du cinquantenaire des indépendances sont
du bluff ! Si je prends mon pays, la Cote d’Ivoire, nous avons demandé,
par la voix de nos autorités, à ce que les troupes françaises quittent
notre pays et, tout particulièrement, le régiment du 43ème BIMA qui est
installé depuis des décennies un peu partout sur le territoire ivoirien
jusqu’au sein de notre aéroport… Pensez-vous sincèrement que dans ce
contexte on puisse parler sérieusement d’indépendance ? D’Etat souverain
? L’empire colonial a fait ce que j’appelle « un transfert de
compétence » qu’ils ont appelé « indépendance » mais nous ne sommes pas
tous dupes !
Propos recueillis par Nadjib SELLALI
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