Mémoire »
Julien Dray : La gauche au pouvoir a tourné le dos
La marche des beurs, c’est une prise de conscience, ça déclenche quelque chose. A partir de là, ceux qui sont en responsabilité de la marche estiment pour la plupart d’entre eux, que ce qu’ils ont porté est énorme. Et le poids, y compris le poids médiatique, qui pousse, qui pèse sur eux et qui fait que ce ne sont pas des militants au point de départ, ce ne sont pas des militants politiques. Ils n’ont pas d’histoire, ils ont un coup de colère. C’est leurs parents qui avaient participé à la construction de ce pays et qui continuaient à être des colonisés.
Les enfants étaient en révolte et c’est légitime par rapport à la manière dont leurs parents étaient traités. Et 81, c’est 13 ans après mai 68. On est encore dans l’illusion du monde qui va changer. Et la victoire de 81, ça n’a rien à voir avec la victoire de François Hollande, dans l’impact que ça a dans la société et dans le rêve que collectivement on avait porté. Moi, souvent, quand je dis ça et c’est très compliqué parfois : un 1er mai, pour moi c’est un 1er mai où d’abord on ne pouvait pas, quand on était un peu militant et un peu engagé, on ne pouvait pas penser qu’on n’allait pas être dans la rue. Et on était dans la rue pas par dizaines, par centaines de milliers. Je parle du 1er mai. Une grève générale lancée par un syndicat, c’étaient des millions de salariés qui se mettaient en grève. Et puis malheureusement, très vite, le 81 qu’on avait espéré ne répond pas aux attentes dans tous les domaines, dans le domaine économique, dans le domaine social et dans le domaine sociétal, il reste limité. Et il y a un premier ministre de la gauche à l’époque qui s’appelle Pierre Mauroy qui, lorsqu’il y a les premières grèves de ces travailleurs de Citroën Aulnay, dit : oui, c’est des travailleurs immigrés, c’est voilà, c’est les musulmans, c’est communautariste, etc., et tout. Alors que c’est une lutte ouvrière, ce n’est pas une lutte raciale, etc. C’est une lutte ouvrière d’ouvriers qui croyaient que les choses allaient changer, qu’ils se rendent compte qu’ils vont être mis sur le carreau. Il y a un crime raciste qui va sensibiliser l’opinion publique et ce crime raciste s’appelle Aziz Madak à Menton, Malik c’est après, c’est en 86. Il va sensibiliser, on lance une initiative terrible en disant 1 minute de silence, on lance ça comme ça. Et puis, tout d’un coup, en 3-4 jours, toute la France se met en mouvement.
Et là, à ce moment-là, SOS prend son envol. Nous avons fait un concert à la Concorde en 1985 où il y a eu 1,5 million personnes qui sont venues sans aucun incident. Il commence à 17 h, il finit à 9 h et demie le lendemain matin. Charles Pasqua à l’époque dit la chose suivante : nous avons les valeurs communes avec le Front National. C’est l’époque aussi de la mobilisation contre le projet du ministre Devaquet. Il y a un symbole terrible qui va être vécu par toutes ces générations, un jeune est assassiné par des CRS et ce jeune, il s’appelle Malik Oussekine.
Nous avons porté la victoire de François Mitterrand en 88, mais après, il y a une énorme déception. C’est que la gauche qui arrive en 88, portée par ce mouvement générationnel, lui tourne le dos et on se retrouve avec ce moment ubuesque où un premier ministre de la France, porté par ce mouvement, dit : maintenant, ces histoires-là, on les met sous la table, parce qu’il faut faire consensus et on n’en parle plus. Donc, la question qui est posée désormais au pouvoir politique, c’est d’avoir le courage politique d’assumer ce combat et cette identité. C’est d’avoir le courage de dire : désormais, voilà la société que nous défendons. .
Julien Dray
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