MOULIN ROUGE : LE FRENCH CARCAN DE LA DISCRIMINATION

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Mercredi, 24 Août, 2022
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Tout commence au sein du Moulin-Rouge, un cabaret parisien fondé en 1889 par le Catalan Joseph Oller et par Charles Zidler, qui possédaient déjà l’Olympia. L’Association du restaurant du Bal du Moulin rouge, créé en 1968, a pour objet de recruter et gérer tout le personnel de service en salle du restaurant « Le Moulin Rouge », ainsi que les cavistes et les plongeurs pour le compte de la société anonyme qui exploite l’ensemble de l’établissement, cabaret et restaurant Le Moulin-Rouge.

Si l’association n’avait pas de mal pour embaucher des maîtres d’hôtel ou encore chef barman, tel n’était pas le cas pour les commis de salle. Elle avait des difficultés pour trouver du personnel motivé et stable puisqu’en juin 2001 sur 35 commis, 15 seulement avaient une certaine ancienneté.

 

C’est dans ce contexte que, Monsieur André POUSSIMOUR, né le 15 juillet 1934 à BRUGES, entré au Moulin-Rouge en 1962, occupait les fonctions de directeur du restaurant et présidait l’association depuis 1988, a précisé à la secrétaire, Mme Micheline BEUZIT, les postes à pourvoir afin qu’elle fasse passer une annonce dans la presse et à l’Agence Nationale pour l’Emploi (ANPE).

 

Mme BEUZIT est entrée au sein de l’association comme employée de bureau en 1968. Elle y travaillait depuis 20 ans au poste de secrétaire comptable. Depuis 1987, Mme BEUZIT avait en charge l’aspect administratif du recrutement en collaboration avec un des 3 maîtres d’hôtel responsable du personnel qui faisaient passer les entretiens d’embauche : M. Vladimir SERBAJ, M. Thierry BOURDIN dit « Claude » et M. Jean-Christophe VIENNE. Sans intervenir dans la décision de recrutement, elle était habilitée à répondre à des questions au téléphone.

 

L’histoire débute dans les années 2000. Mme BEUZIT a eu recours pour la première fois en novembre 2000 à un nouveau mode de recrutement en s’adressant à la Mission locale pour l’emploi de Paris-centre, organisme qui est destiné aux jeunes de 16 à 25 ans en recherche d’emploi de formation. Mme BEUZIT a téléphoné, le 16 novembre 2000, à M. François MASSON, conseiller à la mission locale, pour rechercher des commis de salle. A la demande de M. MASSON, Mme BEUZIT lui a faxé le profil du poste : « commis de salle 18-22 ans, débutant accepté. Travail : 17h à 2h du matin. 2 jours de repos par semaine. Se présenter entre 17 et 18h au Moulin-Rouge, demander Vladimir ou Claude ou téléphoner. Tenue de travail : veste blanche, pantalon noir, chaussures noires, socquettes noires, chemise blanche, nœud papillon ».

 

Le profil du poste correspondait parfaitement à celui de la victime, M. Abdoulaye MAREGA. Sénégalais de 22 ans, qui avait déjà occupé en 2000 deux emplois d’aide-cuisinier. Pourtant, M. MAREGA ne s’attendait pas à subir une discrimination avérée et immonde. En effet, M. MASSON a rappelé le Moulin-Rouge pour lui proposer la candidature de M. MAREGA.

 

 

Mme BEUZIT lui a répondu « On ne prend pas de couleur sur ce type de poste ».

 

 

M. MASSON a informé la victime de cette situation en l’invitant de tenter sa chance directement au Moulin-Rouge.

 

 

M. MAREGA a été reçu le 27 novembre par M. SERBAJ, auquel il a remis son curriculum vitae. M. SERBAJ lui a indiqué que le poste exigeait la connaissance de l’anglais et de l’espagnol et puisqu’il ne parlait pas ces langues, il ne pouvait pas être recruté. Cette réponse n’était en réalité que mensonge et manipulation face à la vérité puisque le profil du poste n’a jamais précisé que la langue était le critère principal au recrutement. Un malheur n’arrivant jamais seul, après cette réponse négative, le maître d’hôtel a jeté son CV dans la poubelle, sous les yeux de la victime.

M. François MASSON a alors contacté l’association SOS racisme, dont le vice-président était à l’époque M. Samuel THOMAS. Avec la contribution de l’inspectrice du travail, Mme LABADO Jésus, M. THOMAS réalisa un testing au Moulin-Rouge. Fin novembre, un deuxième candidat à la peau noire s’est présenté au Moulin-Rouge sur les conseils de M. MASSON : M. Michael de FONDAUMIERE, antillais âgé de 24 ans. Il a été reçu par M. SERBAJ, avec lequel l’entretien s’est déroulé de la même manière et qui l’a évincé en invoquant le même motif.

 

 

Le 13 décembre 2000, M. MASSON a rappelé le Moulin-Rouge en présence de sa collègue Mme Karine ROLLOT et des deux jeunes Noirs dont la candidature a été refusée, M. MAREGA et M. FONDAUMIERE. Après avoir branché le haut-parleur, il a demandé à Mme BEUZIT si ses candidats avaient été recrutés, et sinon quelle était la raison de leur éviction.

 

 

Les 4 personnes présentes attestent avoir entendu Mme BEUZIT déclarer que l’association n’embauchait pas de personnes de couleur en salle mais qu’elles pouvaient éventuellement être employées en cuisine.

M. MASSON a appelé une 3e fois Mme BEUZIT le 30 janvier 2001, cette fois en présence de M. THOMAS et d’une équipe de journalistes de FRANCE 3 qui a enregistré la conversation. France 3 a diffusé dans son bulletin d’informations régionales du 5 février 2001 un sujet sur la discrimination à l’embauche, comportant un montage de 3 extraits de cet entretien :

 

 

- Un échange au cours duquel M. MASSON et Mme BEUZIT récapitulent les critères requis : 18-22 ans, notion d’anglais, bonne présentation, plutôt européen, sur quoi Mme BEUZIT ajoute « ça il ne faut pas le mettre dans l’annonce, évidemment on n’a pas le droit de le mettre » ;

 

 

- Une phrase de Mme BEUZIT déclarant : « à la cuisine ou à la plonge, on prend des sénégalais » ;

 

 

- Au sujet du poste de serveur, une affirmation de Mme BEUZIT « actuellement, on n’a que on préfère des européens… C’est clair et net, des Européens ».

 

Entre le 1er et le 7 février 2001, Mme LABADO s’est rendue en compagnie d’un contrôleur du travail stagiaire dans les locaux du Moulin-Rouge, où elle a été reçue par Mme BEUZIT. Mme LABADO a pu rencontrer M. BOURDIN ainsi que M. POUSSIMOUR.

 

 

Le 1er février 2001, Mme LABADO a consulté le fichier du personnel qui se trouvait sur le bureau de Mme BEUZIT et dont les fiches individuelles comportaient une photographie. Elle a constaté que seuls des hommes à peau blanche étaient occupés en salle. L’un d’entre eux étant néerlandais, Mme LABADO a interrogé Mme BEUZIT sur ses connaissances linguistiques. Mme BEUZIT lui a dit qu’il ne parlait pas espagnol et presque pas français, mais qu’il apprendrait vite comme tous les néerlandais, contrairement à ce qui a été spécifié aux deux jeunes noirs.

 

 

Le 7 février 2001, après avoir été interrogé par Mme LABADO, M. POUSSIMOUR lui a précisé « je n’ai jamais connu en effet de gens de couleur en salle depuis mon embauche au Moulin-Rouge en 1962… mais je ne me suis jamais opposé à ce qu’on recrute des gens de couleur pour la salle ».

 

 

Le 6 avril 2001, Mme LABADO adresse un rapport au procureur de la République pour lui dénoncer une infraction en application de l’article 40 du code de procédure pénale, notamment la discrimination réprimée aux articles 225-1, 225-2 et 225-19 du code pénal, et complicité de discrimination réprimée aux articles 121-6, 121-7, 225-1 et suivants du code pénal. Mme LABADO rapporte les propos de ses différents interlocuteurs. Mme BEUZIT lui a dit le 1er février 2001 « On ne recrute pas de noirs en salle, seulement en cuisine », précisant qu’eu égard aux difficultés de recrutement, les notions de langues étrangères étaient un « plus », permettant d’envisager une future promotion « mais en aucune manière un critère de sélection ». M. BOURDIN lui a déclaré « ce n’est pas d’usage dans notre maison de recruter des gens de couleur ».

 

 

Le 28 juin 2001, devant les fonctionnaires de police, M. POUSSIMOUR ment et donne une autre version que celle donnée à Mme LABADO, osant dire qu’il n’y a jamais eu de personnes noires dans la salle car elles ne se sont jamais présentées à un entretien. Ce qui est bien évidemment faux et invraisemblable, comme l’a affirmé M. MASSON, se fondant sur son expérience quotidienne à la mission locale. Mme BEUZIT a d’ailleurs contredit les mensonges de son employeur puisqu’elle a déclaré à l’audience « il y a bien eu des candidats noirs mais je ne me souviens pas qu’il y en ait eu d’embauchés ». M. POUSSIMOUR n’est toujours pas en mesure de fournir une explication précise, se bornant à déclarer que « s’ils n’ont pas été pris, c’est qu’on a estimé qu’ils ne remplissaient pas tous les critères de compétence ou de motivation mais pas en raison de leur couleur de peau ».

 

 

Il convient de rappeler que le refus d’embaucher une personne sur un poste donné en raison de son appartenance à une ethnie ou à une race est contraire au principe d’égalité qui est l’un des fondements de la République française, qu’il est pénalement sanctionnable en tant que pratique discriminatoire prévue et réprimée par les articles 225-1, 225-2 et 225-4 du code pénal.

 

 

L’Association du restaurant du Bal du Moulin-Rouge est ainsi prévenue d’avoir à Paris en novembre 2000 refusé d’embaucher des personnes en raison de leur ethnie ou de leur race.

 

Mme BEUZIT est quant à elle prévenue pour s’être, le 16 novembre 2000, rendue complice de ce délit de discrimination raciale à l’embauche.

 

 

Le 4 octobre 2002, le procureur de la République Catherine Champrenault avait requis 45.000 euros d'amende à l'encontre de l'association et 2 mois d'emprisonnement avec sursis et 3.000 euros d'amende à l'encontre de Mme BEUZIT.

La 31e chambre correctionnelle du Tribunal judiciaire de Paris a rendu un jugement le 22 novembre 2002.

 

 

Concernant l’Association, la Cour considère que « l’existence d’un critère ethnique de couleur de peau pour l’embauche du personnel en salle a été suffisamment démontrée par l’enquête et les débats ». M. POUSSIMOUR ayant déclaré à l’audience avoir délégué ses pouvoirs en matière d’embauche à M. SERBAJ. Or, cette délégation de pouvoirs n’a pas été reconnue par M. SERBAJ. Le Ministère public a donc décidé de renvoyer devant le tribunal la personne morale plutôt que son dirigeant, personne physique.

 

 

Concernant Mme BEUZIT, la Cour considère qu’« en faisant valoir qu’un candidat de couleur n’avait aucune chance d’être embauché sur un poste de commis de salle, Mme BEUZIT transmettait une information exacte, mais illicite. Elle n’a subi ni pressions ni contrainte, puisque ce critère ethnique connu de tous ne pouvait néanmoins faire l’objet d’instructions officielles ; elle aurait pu sans risques pour elle-même donner à ses interlocuteurs les seuls renseignements licites et laisser les candidats noirs venir tenter leur chance ; qu’elle a donc de son plein gré apporté aide et assistance à la politique de sélection discriminatoire pratiquée par son employeur en pratiquant un filtrage préalable ; qu’elle doit en être reconnue complice dans les termes de la prévention ».

 

 

La Cour déclare l’Association du restaurant du Bal du Moulin-Rouge coupable du délit de discrimination à raison de la race. Elle la condamne à une amende délictuelle de 10 000 euros. Elle ordonne à titre de peine complémentaire la publication au frais de l’Association dans les journaux Le Parisien et Le monde un communiqué de presse sur sa condamnation.

 

 

La Cour déclare Mme BEUZIT coupable du chef de complicité de discrimination à raison de la race et la condamne à une amende sous forme de jours amende au nombre de 100 et d’un montant unitaire de 30 euros, soit 3000 euros.

 

 

Sur l’action civile, la Cour déclare recevables les constitutions de partie civile de M. MAREGA et de l’Association SOS racisme. Elle condamne solidairement l’association et Mme BEUZIT à payer à M. MAREGA la somme de 4500 euros à titre de dommages-intérêts et en outre la somme de 225 euros chacun au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale.

 

 

Elle condamne solidairement l’Association et Mme BEUZIT à payer à l’association SOS racisme la somme de 2300 euros à titre de dommages et intérêts et 225 euros au titre dudit article 475-1.

 

 

« C'est considérable car on est habitué dans ce genre d'affaires à recevoir 150 euros », s'est réjoui l'avocat de la partie civile, Me Dominique TRICAUD. « La France est aussi le pays des droits de l'homme, comme on peut heureusement le voir de temps en temps » ; « C'est un message qui indique aux victimes qu’elles peuvent agir, ne pas se laisser faire », poursuit-il.

 

 

L’Association et Mme BEUZIT font appel de la décision.

 

 

La Cour d’appel de Paris rend sa décision le 17 octobre 2003. Elle confirme le jugement rendu par les juges du premier degré, dont les condamnations de l’Association du chef de discrimination raciale à l’embauche et de Mme BEUZIT du chef de complicité du même délit ainsi que les peines et l’action civile. Elle condamne toutefois Mme BEUZIT à une amende de 1500 euros et accorde une somme de 150 euros par chacune des prévenues à chacune des parties civiles au titre des frais exposés devant la Cour d’appel.

 

 

« En reconnaissant la culpabilité du président de l4Association du Bal du Moulin-Rouge, la Cour reconnaît que la secrétaire exprimait la volonté affichée de l’entreprise », se réjouit M. Thomas, pour qui l'arrêt confirme également une nouvelle fois la validité des « testings » pratiqués par son association. « Cela valide aussi l’action du conseiller de mission locale qui a dénoncé l'affaire, et prouve que l'on peut en tant qu’employé d'une agence pour l'emploi, sans gros risque, refuser de se faire le complice de pratiques discriminatoires des entreprises ». « C’est un avertissement pour tous les employeurs qui commettent des recrutements discriminatoires, notamment dans la restauration, où l’on constate une forte hiérarchisation raciale des tâches », déclara M. Thomas.

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