LOGIREP : UNE AGENCE IMMOBILIÈRE CONDAMNÉE POUR DISCRIMINATION ET FICHAGE ETHNIQUE
Le parcours locatif de M. TIEBOYOU montrait que celui-ci avait successivement occupé trois logements depuis 2001. S’agissant de son dernier logement, l’office d’HLM gestionnaire faisait état des relations difficiles de sa mère avec le voisinage et avec le gardien. Il apparaissait néanmoins que M. TIEBOYOU et sa mère se plaignaient eux-mêmes de problèmes de voisinage et de l’état de leur logement. Leur logement avait finalement fait l’objet d’une réfection.
Cette affaire, très emblématique, connaît plusieurs enjeux :
- Le premier enjeu est celui de l’enregistrement audio :
La commission d’attribution se réunissait le 12 juillet 2005 et de retour de vacances, le 19 juillet 2005, Frédéric TIEBOYOU apprenait dès le lendemain, après avoir téléphoné à la conseillère clientèle en charge de son dossier LOGIREP, Mme Safia Rahmoun, que le logement lui avait été refusé avec pour motif « mixité sociale » et parce qu’il était « d’origine africaine et qu’il y a déjà trop de noirs dans cette tour ». Cette décision lui a été communiquée par téléphone et sa mère, présente lors de l’entretien, avait pu en enregistrer une partie sur un dictaphone.
L'odieuse manipulation a été révélée donc, lors de l'entretien téléphonique, dont l'enregistrement a prouvé qu'elle servait dans le cas présent à écarter des « personnes d'origine africaine et antillaise. [...] On est obligé d'appliquer cela, notamment à Nanterre, parce que ce sont déjà des tours qui vivent très mal, on a beaucoup de problèmes et on essaie de mixer un peu toutes les origines et tous les revenus, donc voilà, c’est pas moi qui décide, hein, c’est la commission »[1] a ajouté l’employée.
Ayant questionné son interlocutrice sur la régularité de cette décision, Frédéric TIEBOYOU s’était entendu répondre qu’elle reposait sur l’article 56 de la loi contre l’exclusion qui, selon elle, avait pour objectif d’ « éviter de créer des guettos »[2].
Évidemment, il s’agit là d’interprétation totalement détournée de loi, dans le but de justifier les pratiques discriminantes de l’agence LOGIREP.
Le 2 août 2005, SOS racisme-touche pas à mon pote, association ayant pour objet la lutte contre le racisme, dont Samuel Thomas était vice-président, aujourd’hui Délégué Général de la Fédération Nationale des Maisons des Potes et de l’Egalité et président de la Maison des Potes, et Monsieur Frédéric TIEBOYOU, assistés de Maître NAJSZTAT Eric, avocat au barreau de Paris, déposaient auprès du doyen des juges d’instruction du Tribunal judiciaire de Nanterre une plainte avec constitution de partie civile du chef de discrimination raciale par personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, prévue à l’article 432-7 du code pénal.
LOGIREP (Logement et Gestion Immobilière pour la Région Parisienne) a son siège situé à Suresnes (Hauts-de-Sein) et gère 25 000 logements en Ile-de-France. Le représentant légal de LOGIREP était, au moment des faits, M. Daniel BIARD, président du directoire, ayant donné délégation de pouvoir en date du 3 mars 2014 à M. Franck GIROUARD, directeur juridique, M. Christian GIUGANTI, directeur général, assisté de Maître PECH DE LACLAUSE Christophe avocat au barreau de Paris.
- Le second enjeu est la perquisition :
Une information judiciaire a été ouverte le 4 octobre 2005. Les investigations ont été faites sur commission rogatoire c’est-à-dire que le juge d’instruction a délégué ses compétences aux officiers de police judiciaire. Ces investigations ont permis de saisir au cours d’une perquisition effectuée le 13 décembre 2005 au siège de LOGIREP le dossier de M. TIEBOYOU, l’original du procès-verbal de la réunion du 12 juillet 2005 et la fiche de ce candidat dont la mention « refusé » était entourée au stylo avec à coté les mots manuscrits « mixité sociale », le procès verbal et la fiche étant signés par le président de la commission.
Ces investigations ont également permis d’entendre les personnes ayant participé à la réunion de la commission d’attribution dont M. Bertrand BELEDIN, directeur du patrimoine de Logirep, présidant la commission d’attribution du 12 juillet 2005 en remplacement de Danièle Figère ; Mme Safia Rahmoun ; Mme Isabelle Bihan, représentante de la mairie de Nanterre au sein de la commission ; Marie-Noelle Hede, responsable du pole social à LOGIREP et Mme Catherine André, représentante des locataires au sein de la commission.
Selon eux, les motifs invoqués par Frédéric TIEBOYOU pour obtenir le nouveau logement qu’il était prévu de lui attribuer, notamment l’insalubrité du précédent, n’avaient pas semblé pertinents et que la présence de sa mère, qui vivait avec lui, était susceptible de créer des difficultés de voisinage supplémentaires dans un immeuble qui en connaissait déjà. C’est apparemment au vu de ces éléments que le président de la commission avait motivé le refus en cochant la case « mixité sociale ». Certains d’entre eux, ne sachant pas comment couvrir la société LOGIREP, prétendent ne « pas se souvenir du dossier du dossier de M. TIEBOYOU », que c’est le comportement « difficile » de la mère de la victime que la demande de M. TIEBOYOU a été refusée ou encore qu’ils ignoraient que M. TIEBOYOU était noir et africain.
Le 27 avril 2006, les parties civiles ont été entendues par le juge d’instruction, tant M. TIEBOYOU que M. Samuel THOMAS, vice président de SOS racisme, faisaient valoir que l’enregistrement de la conversation du 19 juillet 2005 suffisait à démontrer la réalité de la discrimination aggravée.
Samuel THOMAS contestait les déclarations des membres de la commission d’attribution selon lesquelles ils ignoraient que M. TIEBOYOU était noir et Africain. Ces justifications mensongères ne peuvent en réalité pas être prises au sérieux et ne sont des moyens de défense destinés qu’à nier la discrimination raciale, l’origine ethnique de Monsieur TIEBOYOU étant connue ne serait-ce qu’à raison de la présence dans le dossier de la photocopie de la carte d’identité montrant ses origines. Safia RAHMOUN ayant d’ailleurs invoqué à une quinzaine de reprises cet élément dans la conversation enregistrée alors même qu’elle n’avait jamais rencontré le candidat.
De plus, certains documents saisis ont fait apparaitre non seulement le fait que les locataires étaient français ou non mais aussi l’indication de leur lieu de naissance, ce qui était susceptible de constituer une infraction qui n’a pas été visée au réquisitoire introductif du Procureur de la République.
Le 23 juin 2006, des réquisitions supplétives du chef de conservation en mémoire informatisée de données à caractère personnel faisant apparaître directement ou indirectement les origines raciales ou ethniques étaient prises, soit le délit de fichage ethnique réprimé à l’article 226-19 du code pénal.
Le 21 septembre 2006, la société LOGIREP, représentée par son directeur général M. Daniel BIARD, est mise en examen pour des chefs de discrimination raciale non aggravée par la circonstance liée à une qualité de personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public. Le statut de mise en examen est prévu au stade de l’instruction, lorsqu’il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elles aient pu participer, comme auteur ou complice, à la commission des infractions dont il est saisi[3].
De subterfuge en subterfuge, M. Daniel BIARD niait catégoriquement que la société LOGIREP ait eu une quelconque pratique répréhensible, malgré les propos tenus par Mme Safia RAHMOUN qui ont été enregistrés à des fins de preuve.
Quant aux explications de Mme RAHMOUN, lors de son audition du 10 octobre 2006, celle-ci a fait valoir que « c’était la gêne qu’elle avait ressentie pour formuler les supposées vraies raisons du refus d’attribution »[4], soit les troubles de voisinage qu’occasionneraient la mère de M. TIEBOYOU. Mme RAHMOUN reconnaissait avoir été l’interlocuteur de M. TIEBOYOU lors de la conversation enregistrée du 19 juillet 2005 et avoir tenu les propos dont elle avait entendu ensuite l’enregistrement à la radio et à la télévision. Toutefois, elle estimait que son interprétation de la mixité sociale était erronée et que les propos tenus dans cette conversation téléphonique ne reflétaient pas sa pensée. Elle contestait toute discrimination raciale au sein de LOGIREP, ajoutant que, dans le cas contraire, elle n’aurait pas été embauchée ou ne serait pas restée dans cette entreprise.
Or, les propos de Mme RAHMOUN ne peuvent être pris au sérieux. Mme Rahmoun a simplement voulu rattraper la situation dans laquelle elle a mis, de son propre gré, l’agence LOGIREP. Les propos de cette dernière ne sont que mensonge et malhonnêteté, celle-ci se trouvant partager entre la peur de perdre son travail et donc de couvrir son patron et les propos tenus à la victime.
S’agissant des données à caractère personnel faisant apparaître les origines raciales ou ethniques, M. BIARD mettait en avant comme mensonge que certaines d’entre elles n’avaient été apposées que manuellement pour les besoins de la défense de la société dans la procédure, les autres étant établies à des fins « statistiques » à partir de la situation des locataires en ligne, ce qui, selon lui, excluait l’idée de sélection.
Le 1er février 2008, suite à un réquisitoire supplétif en date du 9 janvier 2008, il était notifié à la société LOGIREP que les faits qui lui étaient imputés comprenaient désormais aussi la circonstance de commission par une personne ayant la qualité de dépositaire de l’autorité publique ou charge d’une mission de service public. Le 2 décembre 2010, LOGIREP était donc mise en examen des chefs de discrimination raciale avec la circonstance aggravante de commission par personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ainsi que de fichage ethnique.
En effet, un expert a analysé, au cours de l’année 2009, les documents saisis lors d’une perquisition effectuée par le juge d’instruction le 18 mai 2009. Il a fait un rapport en date du 7 juillet 2010 et déposé le 18 aout 2010, qui démontrait qu’il existait en 2005, deux champs informatifs distincts : nationalité et origine, qui figuraient bien parmi les données susceptibles d’être extraites. La mauvaise foi de LOGIREP était donc établie puisque ce n’est qu’après la plainte avec constitution de partie civile, dans le courant de l’année 2007, que la base de données avait subi une modification substantielle.
1. Sur la discrimination :
- Le troisième enjeu réside dans le témoignage par la directrice générale adjointe :
Mme Martine CHASTRE, directrice générale adjointe de LOGIREP, en charge de l’organisation et du fonctionnement des commissions d’attribution, a été entendue en qualité de témoin assisté. Ce statut est accordé à une personne lorsqu’il existe des indices rendant vraisemblable qu’elle ait pu participer, comme auteur ou complice, à la commission des infractions concernées[5]. Elle a précisé que « le fonctionnement matériel des commissions est totalement de ma compétence. Leur fonctionnement juridique est de ma compétence mais pas de ma seule compétence. Si c’est moi qui ai établi le règlement intérieur des commissions et le règlement d’attribution ils ont été validés par le conseil de surveillance. Toute recommandation importante est faite par moi après validation par le conseil de surveillance auquel il est également rendu compte du fonctionnement des commissions dans un rapport annuel »[6].
En outre, la notification du refus d’attribution de logement a été signée par le chef du service clientèle de la LOGIREP et la commission d’attribution qui se réunit au siège de la LOGIREP est présidée par un salarié de la LOGIREP. Le jour des faits, la commission était présidée par M. BELEDIN salarié dépendant de la directrice générale adjointe qui présidait en général cette commission. Deux autres salariés de la société LOGIREP ont participé à cette commission dont un représentant de la Mairie de Nanterre et un représentant des locataires.
Son témoignage, « trahissant les siens », permettra de contrecarrer les arguments fallacieux de la société LOGIREP qui estimait que la commission d’attribution était un organe indépendant de celle-ci.
• Sur l’action publique :
- Le quatrième enjeu est donc la responsabilité juridique de la commission d’attribution :
La société LOGIREP estime que sa responsabilité pénale ne peut pas être encourue en ce que la décision de refus d’attribution de logement émane de la commission d’attribution qui ne constitue pas l’un de ses organes mais un organe indépendant composé d’autres membres en plus de ses représentants.
Or, ces arguments ne peuvent être tenus et sont contrebalancés par le témoignage de la directrice générale adjoint de LOGIREP elle-même. Ce qui démontre, une fois de plus, la mauvaise foi de LOGIREP.
Pourtant, dans son jugement rendu le 2 mai 2014, le Tribunal correctionnel de Nanterre considère que, malgré un fonctionnement reposant essentiellement sur les salariés de la LOGIREP, il n’est pas établi que la commission d’attribution soit un organe ou un représentant de la LOGIREP. La LOGIREP est donc relaxée partiellement du chef de discrimination raciale aggravée pour défaut d’imputabilité.
Selon Samuel Thomas, cette décision est « absurde ». « Nous allons faire appel sur cet aspect de la décision qui revient à exonérer LOGIREP de sa responsabilité. Une commission d’attribution n’est pas distincte de son bailleur ».
- Le cinquième enjeu réside dans la contre attaque de l’avocat de la société LOGIREP en portant plainte contre M. Samuel THOMAS sur le fondement de la violation de la présomption d’innocence :
Le 4 novembre 2009, M. Samuel THOMAS, président de la Fédération nationale des maisons des potes et vice président de l’association SOS racisme touche pas à mon pote, a remis à M. Karam, délégué interministériel pour l’égalité des chances des français d’outre-mer, un rapport pour rendre compte du travail réalisé à la demande de ce dernier dans le cadre de « la convention relative au fichage territorial ou ethnique pouvant conduire à des pratiques discriminatoires de recrutement dans les entreprises » signée le 13 novembre 2008.
Ce rapport intitulé « le fichage ethno-racial : un outil de discrimination » et sous titré « l’Etat et les associations : une collaboration étroite est nécessaire pour en finir avec les discriminations » a été rendu public sur le site internet de l’association SOS Racisme touche pas à mon pote en février 2011.
Par actes du 27 janvier 2010, la société LOGIREP a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Paris M. THOMAS et les deux associations en sollicitant sur le fondement de l’article 9-1 du code civil diverses mesures.
Par jugement du 14 décembre 2011, le tribunal a condamné in solidum M. Samuel THOMAS et les deux associations à payer à la société LOGIREP 1 euro de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral résultant de l’atteinte portée à la présomption d’innocence par la divulgation de propos contenus dans le rapport intitulé « le fichage ethno-racial = un outil de discrimination ».
M. Samuel THOMAS et la fédération nationale des Maisons des potes font appel de cette décision.
En effet, ils citent l’article 65-1 de la loi du 29 juillet 1881 qui prévoit « Les actions fondées sur une atteinte au respect de la présomption d'innocence commise par l'un des moyens visés à l'article 23 se prescriront après trois mois révolus à compter du jour de l'acte de publicité ». Or, aucun acte interruptif de prescription n’a pu être diligentée. La société LOGIREP ne justifie d’aucun acte interruptif de prescription à leur encontre.
De plus, la société LOGIREP a délivré, le 27 janvier 2010, son assignation en raison de la publication du rapport litigieux sur le site de l’association SOS racisme et soulignent que l’élément de publicité poursuivi était la publication du rapport sur le site de SOS racisme. Lors de la délivrance de l’assignation, la FNMP n’avait donc pas rendu public le rapport et donc, ne s’est rendue coupable d’aucune atteinte à la présomption d’innocence.
De plus, M. Samuel THOMAS n’avait pas la qualité de représentant ou de directeur de la publication de l’association SOS racisme mais seulement de représentant de la FNMP, et que la preuve d’aucune faute personnelle détachable de ses fonctions n’a été rapportée. M. THOMAS n’a pas été l’acteur de la mise en publicité des propos litigieux, le rapport ayant été rendu public par MM FILLON et KARAM via leurs sites internet.
Dans un arrêt rendu le 27 octobre 2017, la Cour d’appel de Versailles annule le jugement rendu condamnant M. Samuel THOMAS et deux associations.
La cour considère que l’auteur d’un rapport qui fait l’objet d’une publication qui n’est pas de son fait peut être condamné en application de l’article 9-1 du code civil dès lors qu’il ne pouvait ignorer que celui-ci serait publié. Il appartient à la société LOGIREP de démontrer que M. THOMAS et les deux associations ou l’un d’eux ne pouvaient ignorer que ce rapport serait ainsi publié.
Or, l’article 2 de la convention du 13 novembre 2008 stipule que les signataires « arrêteront les modalités d’une communication conjointe sur les dérives constatées. En particulier, les rapports et documents s’y rapportant, à l’exception des données nominatives permettant l’identification des protagonistes tant que les jugements n’auront pas été définitivement rendus, pourront être publiés sur leurs sites internet respectifs ».
La Cour d’appel condamne la société LOGIREP à verser aux appelais la somme de 6000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
2. Sur le délit de mise et conservation en mémoire informatisée de données à caractère personnel faisant apparaître les origines raciales ou ethniques des parties :
Suite aux éléments trouvés lors de la perquisition du 18 mai 2009, LOGIREP est mise en examen le 2 décembre 2010 du chef d’enregistrement de données personnelles en fonction de critères fondés sur l’origine, l’ethnie ou la race sans le consentement exprès des intéressés.
Selon la société LOGIREP, celle-ci aurait recueilli uniquement des données concernant le lieu de naissance et la nationalité ce qui est permis par la délibération de la CNIL du 20 décembre 2001 portant recommandation relative aux fichiers de gestion du patrimoine immobilier à caractère social.
Toutefois, cet argument ne peut avoir de valeurs juridiques. En effet, dans cette délibération, la CNIL précise « qu’aucune information relative aux « origines » du demandeur n’est pertinente et qu’aucune information ne doit faire apparaître directement ou indirectement les origines raciales des demandeurs ». Or, en spécifiant en plus de la nationalité des personnes leur origine, il est incontestable que les fichiers en cause comportaient la mention « origine », par exemple : « nationalité : F (orig Alg) ».
Mme Safia Rahmoun a admis lors de la confrontation avec les parties civiles introduire dans le système informatique le code 99 pour les personnes nées à l’étranger.
Dans son jugement rendu le 2 mai 2014, le Tribunal Correctionnel de Nanterre déclare donc la société LOGIREP coupable de ce chef sur le fondement de l’article 226-19 du code pénal et l’a condamne à 20 000 euros d’amende.
• Sur l’action civile :
Dans sa décision rendue le 2 mai 2014, le tribunal correctionnel considère que la fédération nationale de la maison des potes n’a pour objet de lutter contre le racisme et les discriminations que depuis le 17 décembre 2010. Elle est donc déclarée irrecevable en sa constitution de partie civile.
La constitution de partie civile est déclarée recevable concernant l’infraction de mise et conservation en mémoire informatisée de données à caractère personnel faisant apparaître les origines raciales ou ethniques des parties (fichage ethnique).
La Maison des potes-Maison de l’Egalité avait sollicité la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts. Le Tribunal correctionnel fait droit partiellement à cette demande et lui alloue la somme de 10 000 euros.
La maison des potes-Maison de l’Egalité sollicite en outre, la somme de 5000 euros en vertu de l’article 475-1 du code de procédure pénale[7]. Le tribunal lui alloue la somme de 2500 euros.
La constitution de partie civile de l’association SOS racisme touche pas à mon pote est déclarée recevable concernant l’infraction de fichage ethnique.
Elle avait sollicité la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice moral. Le Tribunal lui alloue la somme de 10 000 euros.
Elle sollicite en outre, la somme de 5000 euros au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale. Le tribunal lui alloue la somme de 2500 euros.
M. TIEBOYOU est débouté, le préjudice ressortant du fichage ethnique étant indirect.
La société LOGIREP est donc relaxée sur le fondement de discrimination raciale, condamnée sur le fondement du fichage ethnique à 20 000 euros d’amende et à 20 000 euros au total de dommages et intérêts ainsi que 5000 euros sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale.
La sanction de LOGIREP pour fichage ethnique est une avancée indéniable dans cette affaire, malgré une amende « dérisoire » comparée au 1,725 millions d’euros d’amendes qui auraient pu être versés suite à l’instruction de cette affaire. Cette condamnation nous montre qu’il est possible de remporter de réelles victoires dans la lutte contre les discriminations. Après la décision du tribunal de ne pas condamner LOGIREP pour discriminations, la Maison des Potes a fait le choix de faire appel, et continuera donc à suivre ce dossier de près.
Entre le 7 mai et le 12 mai 2014, M. TIEBOYOU, la Maison des potes-Maison de l’égalité et SOS racisme-touche pas à mon pote, font appel de la décision sur les dispositions civiles. Le 9 mai 2014, la société LOGIREP fait appel principal sur les dispositions pénales et civiles, à l’exception de la décision de relaxe et le Procureur de la République forme un appel incident.
En appel, la société LOGIREP a comparu en la personne de Monsieur GIROUARD, assistée de Maître PECH DE LACLAUSE Christophe. Quant aux parties civiles, la fédération nationale des maisons des potes et ma maison des potes-maison de l’égalité ont comparu en la personne de Monsieur Samuel THPMAS, assistées de Maître PATRIGEON Bertrand. L’association SOS racisme-touche pas à mon poste et M. TIEBOYOU ont été représentés par Maître NAJSZTAT Eric.
A l’audience de la cour d’appel, dans le cadre de l’instruction du dossier, la cour a procédé à l’écoute d’une partie de l’enregistrement de la conversation téléphonique du 19 juillet 2005 entre M. TIEBOUYOU et M. RAHMOUN.
Les parties civiles ont fait plaider sur le délit de discrimination aggravée que la commission d’attribution ne pouvant ouvertement refuser d’attribuer un logement en raison de critères discriminants et illégaux. La commission d’attribution est une émanation et un organe dépendant de LOGIREP qui se fonde, en substance, sur plusieurs éléments dont notamment l’article L441-2 du code de la construction et de l’habitation qui précise qu’ « il est créé, dans chaque organisme d’habitations à loyer modéré, une commission d’attribution (…) » ; l’article R441-9 du même code mentionne que « la commission d’attribution émane du conseil d’administration qui définit la politique que celle-ci doit suivre » ou encore l’article L441 du même code précise que ce sont les bailleurs sociaux qui attribuent les logements locatifs sociaux.
S’agissant du délit de fichage ethnique prévu à l’article 226-19 du code pénal, les parties civiles se sont appuyés sur les documents saisis relatifs à la nationalité et à l’origine pour considérer que ce délit est caractérisé.
M. TIEBOUYOU et SOS Racisme en ont conclu que les deux délits reprochés à LOGIREP étaient parfaitement constitués et demandé la condamnation de la société prévenue à leur payer réparation des préjudices cités plus haut.
La maison des potes, partie civile, a fait plaider sur le délit de fichage ethnique que la presse de la commission de cette infraction par LOGIREP résulte notamment de la découverte des rapports de l’expert montrant que depuis de nombreuses années LOGIREP menait une politique de stigmatisation à l’égard notamment des français d’outre-mer ; les propos de Danièle FIGÈRE parus dans Le Parisien du 2 aout 2005 « il faut dire les choses telles qu’elles sont : les personnes d’origine africaine y sont en surnombre » ; les déclarations de M. Daniel BRIARD, Mme Martine CHASTRE et de Safia RAHMOUN.
Sur le délit de discrimination, la Maison des Potes a fait plaider que le critère discriminatoire auquel se trouvait subordonné la fourniture d’un logement au sein de LOGIREP ressort nécessairement du fichage en fonction de l’ethnie et au-delà, de la couleur de peau, qui est démontré par la conversation enregistrée.
S’agissant de ses demandes civiles, la Maison des Potes sollicite les sommes citées plus haut.
Le représentant du ministère public a requis la confirmation du jugement qui a reconnu LOGIREP coupable du délit réprimé à l’article 226-19 du code pénal en ce que les pièces saisies et les constatations de l’expert démontrent sans ambiguïté que LOGIREP disposait d’un fichier ethnique c’est-à-dire faisant état de l’origine des locataires.
En ce qui concerne le délit de discrimination aggravée, le représentant du ministère public a relevé que cette infraction présentait un certain nombre de difficultés juridiques en ce que l’article 432-7 du code pénal n’est pas applicable et qu’il appartient à la cour de vérifier si les conditions d’application de l’article 225-2 du même code sont réunies. Il requiert la relaxe pour discrimination, faisant falloir que la preuve de la discrimination ne peut résulter de l’enregistrement d’une conversation intervenue après la réunion durant laquelle a été prise la décision de rejet et que M. TIEBOUYOU a menti sur un certain nombre de points de son dossier. Il existe un doute qui doit donc profiter à la société LOGIREP.
LOGIREP elle, sollicite sa relaxe des deux délits qui lui sont reprochés :
Sur le délit de discrimination aggravée : elle considère que l’élément légal de l’infraction fait défaut dans la mesure ou la responsabilité des personnes morales étant subordonnée jusque’à l’entrée en vigueur de la loi du 9 mars 2004, le 31 décembre décembre 2005, à l’existence, pour chaque incrimination, d’un texte spécial prévoyant cette responsabilité. Elle a relevé qu’à la date de l’infraction, ni l’article 432-7 du code pénal, ni aucun texte ne prévoyait la responsabilité des personnes morales pour le délit de discrimination par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public.
Quant au fondement de l’article 225-2 CP, selon elle le « droit au logement » ne figurant pas parmi les comportements prévus et réprimés par cette disposition légale, cet article ne peut se voir appliquer.
En outre, elle considère que la commission d’attribution n’est pas un organe ou un représentant de la société LOGIREP mais un organe indépendant.
Enfin, elle considère que la décision de la commission d’attribution ne repose sur aucun motif discriminatoire mais sur d’autres motifs tels que notamment les troubles du voisinage et la fausse déclaration sur l’insalubrité du logement alors occupé.
La Cour d’appel de Versailles a rendu un arrêt le 18 mars 2016 :
- Sur l’action publique :
Sur le délit de mise ou conservation illicite de données en mémoire informatisée :
Au vu des constatations de l’expert en date du 19 juin 2009, constatant l’existence d’un t tableau « entrants mai juin juillet 2005 parc total LOGIREP » démontrant l’existence de données mises ou conservées en mémoire informatique par LOGIREP en juillet 2005 faisant état dans la « liste des champs et types constituant la fiche du candidat », un champ consacré à la nationalité et un autre à l »origine du candidat, l’une et l’autre étant représentées par des codes, tel que FR ou 001 pour France, 000 pour France métropolitaine, AL pour Algérie, GP pour Guadeloupe, GY pour Guyane française etc.
Or, une telle mention de l’origine des candidats ou des locataires n’est pas autorisée par la décision de la CNIL du 20 décembre 2001 mais au contraire interdit la collecte de toute « information » relative aux « origines » du demandeur ou au pays de naissance de ses parents. Par ailleurs, LOGIREP n’a jamais produit de document portant consentement des personnes concernées pour la mise en mémoire ou la conservation des données relatives à leur origine.
La Cour d’appel confirme ainsi la condamnation de LOGIREP rendue par les juges de première instance sur le fondement de l’article 226-19 du code pénal.
Sur le délit de discrimination aggravée :
La Cou d’appel écarte l’article 432-7 du code pénal, dans la mesure où à l’époque des faits, jusqu’à l’abrogation par l’article 54 de la loi du 9 mars 2004, applicable à compter du 31 décembre 2005, du principe de spécialité en matière de responsabilité des personnes morales, aucune disposition légale spéciale ne prévoyait la responsabilité des personnes morales pour le délit de discrimination raciale commise par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions.
Toutefois, contrairement aux arguments bancal de LOGIREP, la cour d’appel considère que l’infraction de discrimination commise à l’égard d’une personne physique ou morale par refus de fourniture d’un bien ou d’un service, délit prévu et réprimé par les articles 225-1 et 225-2 du code pénal est applicable dans la mesure où les personnes morales pouvaient être déclarées coupables à la date des faits en application de l’article 225-4 du même code dans sa rédaction alors en vigueur.
Elle infirme le jugement rendu en première instance sur ce point et condamne la société LOGIREP sur le fondement de la discrimination prévue et réprimée aux articles 225-1 et 225-2 du code pénal à 25 000 euros d’amende.
- Sur l’action civile : la Cour d’appel condamne la société LOGIREP à payer à M. TIEBOUYOU la somme de 5 000 euros de dommages-intérêts. Elle fixe le montant des dommages et intérêts que LOGIREP devra payer pour la réparation du dommage des associations à 5000 euros pour SOS racisme et 2000 euros pour la Maison des potes. Elle condamne à payer aux parties civiles les frais d’avocats d’une somme totale de 7500 euros. Au total, LOGIREP est condamnée en appel au civil à une somme de 19 500 euros.
La société LOGIREP forme trois pourvois en cassation :
La question posée à la Cour de cassation était de savoir qui devait être considéré comme pénalement responsable en cas d’infraction relative à une discrimination raciale. Le bailleur social soutenait qu’il ne pouvait être tenu responsable pénalement des infractions commises par la commission, celle-ci ne constituant pas un organe de l’organisme d’HLM.
La Cour de cassation rend un arrêt le 11 juillet 2017 par lequel elle rejette les pourvoi formés par la société LOGIREP et confirme les jugements de première instance et d’appel.
Sur le pourvoi formé par la société Logement et gestion immobilière pour la région parisienne contre l'arrêt du 23 juin 2010 :
Après avoir annoncé la mise en examen à la société LOGIREP du chef de fichage ethnique réprimé à l’article 226-19 du code pénal, le 9 novembre 2009, la société LOGIREP a saisi la chambre de l’instruction d’une requête en nullité.
Par arrêt du 23 juin 2010, la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Versailles a fait partiellement droit à cette requête. Elle prononce l’annulation du rapport d’expertise du 23 juillet 2009 et des actes de notification de cette expertise, après avoir relevé que l’expert non inscrit sur les listes n’avait pas prêté serment. La chambre de l’instruction a, en revanche, rejeté la requête en annulation de la perquisition du 18 mai 2009, au cours de laquelle le juge d’instruction avait convoqué les seules parties civiles, qui se sont présentées à la perquisition et non l’inculpé.
Selon elle, son absence de convocation par le juge d’instruction à assister à la perquisition viole les principes du contradictoire, de l’égalité des armes et du procès équitable, qui sont prévus par les articles 6, §1 CEDH, articles préliminaire, 76, 92, 171, 591, 593 du code de procédure pénale.
La Cour de cassation rejette le pourvoi, elle précise « attendu que, pour écarter le moyen tiré du défaut de convocation de l'avocat de la société Logirep à la perquisition du 18 mai 2009, à laquelle avait été en revanche convoqué l'avocat des parties civiles, et dire n'y avoir lieu à annulation de cette perquisition, l'arrêt énonce notamment que, s'il est regrettable que le juge d'instruction ait convoqué les parties civiles et leur conseil à ladite perquisition, cette atteinte à l'équilibre des droits des parties n'a pas causé de grief à la société Logirep, puisque ni les parties civiles, ni leur conseil, n'ont pris part d'aucune manière à l'acte ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors qu'il résulte du procès-verbal de transport que l'avocat des parties civiles n'a eu aucun rôle actif dans la perquisition et qu'il a quitté les lieux une heure après le début des opérations, juste avant que l'avocat de la société Logirep n'arrive sur les lieux et qu'en présence de ce dernier et de lui seul, le juge d'instruction ne procède à la saisie de données informatiques et de documents, de sorte qu'il n'a pas été porté atteinte aux intérêts de la personne mise en examen, la chambre de l'instruction n'a pas méconnu les dispositions légales et conventionnelles visées au moyen, lequel n'est pas fondé »[8].
Sur le pourvoi formé par la société Logirep contre l'arrêt du 22 septembre 2011 :
Le juge d’instruction a demandé à l’expert de bien vouloir établir le rapport correspondant à la mission qui lui avait été confiée par ordonnance en date du 19 mai 2009, après avoir préalablement prêté serment par écrit. Le 7 juillet 2010, l’expert a prêté serment et produit un rapport qui, selon l’avocat de la société LOGIREP, SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, SCP BORÉ et SALVE de BRUNETON et Mégret, SCP Monod, Colin et Stoclet, était en réalité une simple photocopie du rapport annulé.
Le 2 décembre 2010, le magistrat a, à nouveau notifié à la société Logirep sa mise en examen du chef de fichage ethnique.
La société Logirep a saisi la chambre de l’instruction d’une requête en nullité, en invoquant notamment la nullité du second rapport d’expertise.
Par arrêt du 22 septembre 2011, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Versailles a rejeté la requête.
La société Logirep forme alors un pourvoi en cassation, sur le fondement des articles 6, §1 CEDH, articles préliminaire, 76, 92, 171, 591, 593 du code de procédure pénale, ensemble les principes du contradictoire, de l’égalité des armes et du procès équitable.
Là encore, la Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle précise « attendu que la Cour de cassation, qui a le contrôle des pièces de la procédure, est en mesure de s'assurer que M. Y, expert non inscrit, a prêté par écrit deux serments distincts, une première fois le 18 mai 2009 pour l'exécution de la mission qui lui avait été confiée le 11 mai précédent, et une seconde fois le 21 mai 2009 pour l'exécution de la mission qui lui avait été confiée le 19 mai 2009, et que la référence, sur cette dernière prestation de serment, à l'ordonnance du 11 mai 2009 résulte d'une erreur strictement matérielle, de sorte que le rapport déposé le 18 août 2010 l'a été par un expert qui avait régulièrement prêté serment lors de ses opérations ».
Sur le pourvoi formé par la société Logirep contre l'arrêt du 18 mars 2016 :
L’avocat de la société LOGIREP considère que les juges du second degré de la Cour d’appel de Versailles ont violé les articles 121-2 concernant la responsabilité pénale des personnes morales et 225-2 du code pénal concernant l’infraction de discrimination ; L. 441-1, L. 441-2,R. 441-9 du code de la construction et de l’habitation ; 591 et 593 du code de procédure pénale.
Selon l’avocat de la société LOGIREP, la commission d’attribution a rejeté la demande de M. TIEBOUYOU pour des raisons de « mixité sociale », ce qui ne peut être constitutif du délit de discrimination raciale. En outre, la commission d’attribution serait un organe indépendant de la société LOGIREP, celle-ci ne peut, de ce fait, engager sa responsabilité pénale du fait d’absence d’infraction commise par un « organe » ou un « représentant » de la personne morale (LOGIREP).
Là encore, la Cour de cassation rejette le pourvoi de la société LOGIREP. Elle précise « attendu que, pour retenir que les faits de discrimination ont été commis pour le compte de la personne morale par un de ses organes, l'arrêt, après avoir relevé que la commission d'attribution était, lors de sa séance litigieuse, présidée par un salarié de la société Logirep, énonce que l'article L. 441-1 du code de la construction et de l'habitation ne remet pas en cause la compétence des bailleurs sociaux dans l'attribution des logements et qu'il résulte des termes de l'article L. 441-2 du même code que la commission d'attribution créée dans chaque organisme d'habitations à loyer modéré en est un organe, même si des personnalités extérieures siègent en son sein ».
La Chambre criminelle de la Cour de cassation rejette ainsi les 3 pourvois formés par la société LOGIREP. Elle fixe la somme totale de 4 000 euros la somme que la société Logirep devra payer aux associations SOS racisme et La Maison des potes en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale.
[1] http://poteapote.com/Discrimination/Sous-couvert-de-%E2%80%9Cmixit%C3%A9-sociale%E2%80%9D-la-discrimination-sop%C3%A8re
[2] Arrêt de la Cour d’appel de Versailles en date du 18 mars 2016
[3] Article 80-1 du code de procédure pénale
[4] jugement correctionnel LOGIREP C/ M. TIEBOYOU du 2 mai 2014
[5] Article 113-2 du code de procédure pénale
[6] Jugement correctionnel LOGIREP c/ M. TIEBOYOU du 2 mai 2014
[7] Il s’agit des frais de procédure et notamment des frais d’avocats
[8] https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000035192594/
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