Interview : Dominique Tricaud : « L’ordonnance de 1945 est un texte d’un équilibre remarquable entre l’éducatif et le répressif »
Une nouvelle réforme du Droit pénal des mineurs vous paraît-elle opportune ?
Selon moi une nouvelle réforme du Droit pénal des mineurs est inutile dans le sens où l’ordonnance de 1945 est un texte d’un équilibre remarquable entre l’éducatif et le répressif.
Le pari de l’ordonnance de 45 a été précisément d’utiliser la carotte et le bâton ou l’éducatif et le répressif pour parvenir à retirer les gamins de la délinquance et leur permettre de s’intégrer.
Quelles sont les conséquences de l’une des principales mesures de la réforme à savoir la fixation de la responsabilité pénale des mineurs à l’âge de 12 ans ?
C’est tout bonnement délirant parce qu’un enfant de 12 ans ne peut pas être considéré comme étant responsable de ses actes. Tous les spécialistes admettent que déjà 13ans, c’est très jeune.
Vous savez que les mineurs de 13 à 16 ans ne peuvent être actuellement placés en détention qu’en matière criminelle. Remonter jusqu’à 12 ans, c’est n’importe quoi !
Avec cette réforme, le Droit pénal des mineurs ne serait-il pas sur le point de perdre ses particularités et de s’aligner un peu plus sur le Droit pénal des majeurs ?
Tout à fait. Cela rentre en définitive dans une idéologie plus large du gouvernement actuel qui consiste que ce soit pour les majeurs ou les mineurs à gommer tout ce qui est éducatif, à abandonner tout ce qui est réinsertion pour faire dans le tout répressif.
On sait déjà que cette option est inefficace pour les majeurs, et d’ailleurs les pays où la délinquance baisse, sont ceux où des moyens éducatifs sont investis même pour les majeurs.
Le fait de se positionner sur une démarche du tout répressif pour les mineurs est gravement inefficace et idéologiquement très douteux.
Pourquoi tant de controverses autour de cette réforme ? Serait-ce parce qu’une nouvelle fois on privilégie la répression au détriment de la prévention de la délinquance des mineurs ?
Oui en effet, indéniablement on privilégie la répression sur la prévention.
Le Droit des mineurs comporte deux facettes : un volet pénal mais également un volet civil.
On se rend compte malheureusement que les moyens sont de plus en plus limités en matière préventive tant pour les associations, pour la PJJ que pour les juges des enfants compétents même dans le cas où un mineur n’ayant pas commis d’infraction se retrouve en danger.
De plus en plus, l’intervention auprès d’un mineur est tardive car elle s’opère au moment où il faut réprimer et surtout quand on arrive à une situation de répression grave.
Il faut relever qu’on avait réussi à limiter énormément l’enfermement des mineurs.
Cela fait des années que l’ensemble des spécialistes, des éducateurs ainsi que des juges et même le Garde des Sceaux Peyrefitte en 1978 étaient arrivés à la conclusion que l’enfermement est incompatible avec l’éducatif.
Aujourd’hui, on fait semblant d’avoir oublié toutes ces certitudes éducatives, et, donc, on enferme des enfants sur des périodes longues dans un cadre qui prétend ne pas être carcéral tels les CER mais qui présente tous les inconvénients du carcéral mais pas les avantages.
Quel bilan faites-vous de la législation pénale actuelle des mineurs ?
On est actuellement dans une sorte de surenchère de création de nouveaux textes.
On évolue dans un système dans lequel les textes ne sont pas appliqués parce que personne ne les connaît plus, parce qu’ils sont contradictoires entre eux et que les décrets d’application ne sont même pas pris.
On en arrive à une modification de textes qui ne sont même pas encore entrés en application.
On a l’ordonnance de 1945 qui est un texte solide et structuré qui a été modifié sur certains points pour tenir compte des évolutions indispensables mais il n’y aucune raison actuellement de le modifier.
Aujourd’hui, il s’agit de donner à la société l’impression qu’on fait quelque chose pour la protéger contre les enfants.En croyant protéger la société contre eux, on rend en réalité ces enfants moins intégrés et plus dangereux.
La question qui devrait se poser n’est pas de savoir si on enferme ou pas mais davantage comment on gère la sortie.
On se rend compte qu’un enfant qui sort de prison ou de CER, ne parvient pas à retrouver sa place au sein de la société, au sein de l’école.
En croyant avoir fait une intervention éducative ponctuelle, on a désinséré durablement le jeune.
C’est la raison pour laquelle toutes ces pseudos alternatives à la prison aboutissent à des échecs à peu près systématiques.
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