Un pavé syndical dans la mare coloniale
Il
faudra attendre la chute du Front Populaire français pour que l’on
concède à l’AOF le 11 mars 1937, les conditions d’applications des
titres 1 et 2 du livre 3 du Code du Travail métropolitain. Ce timide
progrès offrit le droit aux travailleurs instruits de se syndiquer. Peu
de jours après, un nouveau décret tombe : Le 20 mars 1937 reconnaît
clairement le droit aux travailleurs qui ne remplissaient pas cette
condition d’adhérer à une association professionnelle. Cette dynamique
syndicale qui prend forme peu a peu a été le fruit de l’inspiration
précoce d’idées marxistes au Sénégal. Mais c’est le 16 septembre 1944
que né le décret instituant les syndicats professionnels « sur les
territoires coloniaux français-africains ».
A
partir de cette date, travailleurs africains et européens font
l’expérience d’une progression commune par l’unification de leurs
efforts, le but étant de peser aux tables des négociations.
De
ce mariage naquit un organisme de coordination : l’Union des Syndicats
Confédérés d’AOF-CGT, représentée par 2 secrétaires généraux l’un
français, l’autre africain. Par tradition, le pluralisme syndical a
toujours existé en métropole mais son prolongement étend désormais ses
racines jusqu’en Afrique de l’Ouest car dans le même temps la CFTC et
FO s’affilièrent aux syndicats africains.
Une
série de grèves incisives s’opère de décembre 1945 à février 1946 et
donne issue au rééquilibrage des droits entre travailleurs du secteur
public et du secteur privé.
Mais
cette lutte a avant tout permis aux membres des deux communautés
(française et africaine) de porter lourdement atteinte aux
administrations. La grogne syndicale monte et son ampleur massive
s’étend sur les terres africaines en peu de temps grâce au soutien d’une
population qui aspire aux changements.
C’est
à ce moment que « l’aberration » des alliances syndicales
franco-africaine se fait ressentir. En effet, les travailleurs salariés
sont une minorité à cette époque et sont employés principalement dans le
secteur du transport et dans le secteur administratif. Pour ces
travailleurs, les revendications qu’ils portent sont sans ambigüités,
ils ciblent principalement l’égalité des salaires avec les européens et
une meilleure organisation de leur carrière. Un autre décalage divise
l’union syndicale franco-africaine : alors qu’en Europe la lutte
syndicale focalise sur la lutte des classes, l’Afrique, dépourvue d’une
classe prolétarienne revendique son combat contre l’oppression
coloniale.
La
confirmation de ce détachement vint avec la grande grève des cheminots
maliens et sénégalais qui sévit d’octobre 1947 à Février 1948. La
tendance « nationaliste » s’affirme par l’activisme des militants du
Bureau Démocratique Sénégalais (BDS) créé par Léopold Cédar Senghor au
lendemain de sa démission de la SFIO. Le rapprochement entre le BDS de
Senghor, de certains syndicalistes radicaux comme l’intellectuel
Abdoulaye Guèye et le député Gabriel d’Arboussier qui militaient à
l’UDS-RDA, permit de poursuivre les efforts pour l’unité des
travailleurs. A cet instant tous font bloc pour aboutir à la grève
générale du 3 novembre 1952 qui fut couronnée par l’adoption du Code du
travail d’Outre Mer le 15 décembre 1952. Il sera par ailleurs appliqué
en 1953 avec la mise en place de la semaine de 40h entre autre.
Certains
leaders comme Sékou Touré ou encore Léopold Sédar Senghor n’ont pas
encore renoncés à détacher le mouvement syndical du Parti Communiste
Français mais ils quittent la CGT pour fonder la CGTA (Confédération
Générale des Travailleurs Africains) en novembre 1955, plus en
adéquation avec la réalité africaine. Peu de temps après, la CGTA
devient à partir du 20 janvier 1957, l’UGTAN (l’Union Générale des
Travailleurs d’Afrique Noire). Ce changement de cap est marqué par un
désintérêt pour la lutte des classes au profit d’une « lutte à outrance
pour l’émancipation politique de l’homme noir ». Cette radicalisation de
lutte contre l’establishment colonial agit en accélérateur dans le
processus de décolonisation. Malgré les divisions entre les différents
leaders politiques africains que ce mouvement suscite, la maturité de la
force syndicale africaine amorce, d’un pas décidé, sa grande marche
vers une libération certaine…
Nadjib SELLALI
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